vendredi 29 août 2014

Un antivol sur la sixième

Bon, plus j’y réfléchis, plus cette histoire de 6e République me pose problème.

Entendons-nous bien : en tant que tel, je n’ai rien contre. Si on peut passer à un régime avec un peu plus de contrôle populaire, avec une implication des travailleurs dans la rédaction d’une constitution, je n’ai rien à y redire. Au contraire, ça me plairait beaucoup. C’est même un vieux fantasme de gauchiste : participer, enfin, à l’Histoire qu’on aime. Jeu de paume, serment, discours enflammé, force des baillonnettes. Ça me fait rêver. C’est ça qu’on m’a appris à aimer en politique.

Et c’est ça qui me gêne.

Je viens de la partie aisée de la petite bourgeoisie, tendance catho de gauche sauce abbé Pierre. Je suis passé par le lycée, filière générale, et par Sciences-po, broyeuse à neurone s’il en est. Et quand on me parle de constituante, c’est cette partie de moi qui vibre.
C'est-à-dire, celle qui se goure sur tout depuis dix ans.

L’autre partie, c’est mon éducation matérialiste tardive. Elle me dit que le droit résulte du rapport de force, et ne le crée pas. Elle me dit qu’il est vaniteux de se fantasmer en glorieuse assemblée transformant le monde par les mots, car la puissance juridique, fût-elle constitutionnelle, ne peut exister qu’en tant qu’avatar de la volonté d’une multitude qui légitime, consciemment ou inconsciemment, un état du rapport de force. 

On se trouve donc devant un problème, la 6e République ne valant que si elle est révolutionnaire - c'est-à-dire si elle s’inscrit dans mouvement profond de réappropriation par le peuple de sa puissance.

Un tel mouvement va bien au-delà d’une redistribution juridique des pouvoirs : il signifie une nouvelle répartition de la valeur économique, une évolution de la conception du travail humain, et une nouvelle mentalité quant à la place de la propriété privée. La 6e République peut s’inscrire dans cet élan, faire partie des éléments qui lui donnent corps, mais certainement pas suffire à le lancer.
Derrière les incantations à la 6e République, il est donc impératif de travailler en profondeur. Être clair sur le fait qu’il ne s’agit pas d’instaurer une nouvelle république, mais la République. Celle qui convient à des citoyens majeurs et souverains non seulement politiquement, mais aussi économiquement. Qu’il ne s’agit pas que de casser la logique des partis et l’intouchabilité des élus, mais de boucher les principaux canaux d’action du capital.
Et garder à l’esprit que le passage vers des institutions telles que nous les souhaitons n’adviendra pas lors d'un dépouillage d’urnes bien sage où l'on se parle poliment. Peut-être y aura-t-il de cela. Mais s’il cela advient, c’est que bien plus sera arrivé avant. C’est que le peuple sera, déjà, dans une configuration révolutionnaire. Et que l’idée de 6e République en tant qu’objectif à atteindre sera devenu obsolète ; ce ne sera plus qu’un outil au service d’un changement global de société.

Et si jamais l’Histoire produit ce changement d’institutions sans qu’il soit précédé et accompagné de cette poussée, si tout ce que nous promettons est la réalisation du fantasme chouardien d’une assemblée délibérante, même avec des députés inéligibles ensuite, même tirée au sort… Prenons garde. Il y a d’autres forces politiques qui ne rêvent que d'une remise à plat des institutions sans révolution. Ceux-là seront dans leur élément, celui d’un changement de direction du capitalisme dans le maintien de l’ordre social. Ceux-là nous volerons notre thème sans vergogne, comme ils nous ont déjà volé tous les autres quand nous ne les défendions pas de manière révolutionnaire.

Donc, pour conclure clairement, si nous ne promouvons pas une 6e République  réellement anticapitaliste avec tout ce que cela suppose comme discours sur les salaires et le travail, je ne donne pas un an au FN pour nous piquer le thème. 

Et ils s’en serviront d’autant mieux qu’ils ont une meilleure chance que nous d’accéder au pouvoir.



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