vendredi 29 juin 2012

Trois cents ans et le sadisme chrétien bouge encore.

Quelqu'un ici se souvient-il d'une fois dans l'histoire où des compressions budgétaires massives ont relancé l'activité d'un pays ?

Une fois ?

Non ?

C'est bizarre, quand même. Parce que si on résumait brutalement les deux grandes orientations de sortie de crise proposées, on aurait un peu à gauche la "relance par la croissance," un vieux pot qui a jadis fait de bonnes soupes - et OUI, je sais qu'il y a une ou deux fois dans les années 80 où ça n'a pas marché. Je vous signale aimablement qu'il y a aussi des dizaines de fois dans les années 60 et 2000 pour l'Argentine ou ça a très, très bien marché.
Et puis, à droite, l'orientation de la rigueur budgétaire, de la coupe des dépenses publiques, politique dite du "que ces feignasses latines payent." Là, pour le coup, je vous mets au défi de trouver un exemple où ça a marché. Un exemple où ça a relancé le pays. Un exemple où ça a aidé à recréer de la richesse sans parasiter les pays voisins en faisant du dumping fiscal (spécial dédicace à l'Irlande.)

Vous trouvez ? Non ? C'est normal, il n'y en a pas. Et vous savez quoi ? Nos gentlemen rigoristes de droite le savent parfaitement. Et c'est ça qui me turlupine. Parce qu'après tout, ils ont aussi fait de bonnes études, ils ont aussi lu des tas de choses, ils ne sont pas plus bêtes que nous. Alors pourquoi s'entêter à vouloir nous serrer la vis si leur intention est de relancer la croiss....

Ah.

Oui, effectivement, la réponse est dans la question.

Donc les rigoristes ne font absolument pas ça pour relancer le pays. Mais alors quoi ? A quoi bon venir jouer les pères fouettards s'ils savent que les fouettés n'en seront pas plus avancer ?
Curieusement, cette question fait écho à une autre, qui n'a en apparence rien à voir : à quoi bon avoir l'obsession des prisons et de la répression alors que toutes les statistiques montrent que ça ne fait pas baisser la délinquance sans prise en charge simultanée de la réintégration des intéressés ?

Nous autres, à gauches, ça nous semble légèrement psychotique comme comportement. Faire oeuvre de coercition sur autrui tout en sachant que ça ne fait qu'empirer les choses est un comportement qui ne respire pas la maturité mentale.

Mais la droite, la droite... Elle aime punir. On oublie facilement cette vieille lubie chrétienne. Le coupable doit expier.  La punition vaut pour elle-même, elle n'a pas à être justifiée par des histoires de hippies comme le bonheur des peuples ou l'enrichissement de l'humanité. Des gens se sont trompés, des pauvres, par nature inférieures et  infantilisables : qu'ils expient. Qu'ils souffrent, même si le châtiement doit emporter la moitié de l'Europe. Les droitards seront contents. 
Parce que pour ces gens, le bonheur des peuples est ridiculement secondaire en face de leur morale décatie de vieux patriarche à cravache frustré. Parce qu'il jouissent tellement de voir les autres souffrir, parce qu'ils ne mesurent leur propre sécurité à qu'à l'aune de leur capacité à maltraiter les autres. Parce qu'ils trouvent que "c'est bien fait pour eux", que "y a pas de raison d'abord", que "ils avaient qu'à pas." Parce que ces "adultes" n'ont jamais muri au-delà d'une court de maternelle.

Parce que, tels de vieux curés du XIXe, ils n'arrivent plus à ressentir leur propre vertu qu'en poussant les autres à se flageller.

C'est pour ça que la réaction a tellement de mal avec l'Etat de droit. Pour avoir cette vision du monde, il faut se concevoir non pas comme serviteurs des peuples, mais comme leur précepteurs. 

Il faut du mépris et de l'indifférence à la souffrance.

Et le plus drôle, c'est que beaucoup de ces gens vont à l'Eglise le dimanche.

Seigneur, ne leur pardonne pas, car ils savent exactement ce qu'ils font...

samedi 23 juin 2012

Euro-superstitions

Vous me croirez, si je vous raconte comment en 2004, on obligeait les étudiants de Sciences-Po à apprendre par coeur la Constitution Européenne ? Ne riez pas.

Avec le recul des années, ça paraît effectivement dingue. A l'ouest. Pourtant, je n'arrive pas à en vouloir aux gamins que nous étions. Il faut l'avoir vu et vécu de l'intérieur pour comprendre. L'Europe, l'Europe... Pour nous, c'était la réponse. Quand on a vingt ans et que l'alpha et l'omega de la lutte politique est l'antifascisme et la fin des guerres, et que des professeurs encravatés, éloquents et souvent eux-mêmes sincèrement convaincus, vous expliquent que pour la première fois dans l'Histoire, les peuples s'aiment grâce à l'Europe !

Vous n'avez pas encore entendu parler de déficit démocratique, vous n'avez pas encore lu Marx. Vous ne savez encore rien du monde, d'autant plus que sociologiquement, vous avez été relativement épargné dans la vie. Et vous trouvez l'idée belle, alors vous roulez avec.

En ce temps-là, l'exposé le plus traité par les élèves posait la question suivante :
"Une Union monétaire est-elle possible sans union politique ?"

On attendait de l'élève qu'au terme d'un exposé de dix minutes en deux ou trois parties, il conclut en expliquant que bien évidemment, l'union politique devra venir, et que l'union monétaire est là pour forcer à terme l'union politique en liant de fait les intérêts des Etats entre eux. Parfois, un original souverainiste vous soutenait que tant  que l'union se faisait en dehors du contrôle des peuples souverains, elle ne pouvait être et ne serait jamais légitime. On lui répondait, avec un sourire entendu, que "ça viendra." Et nous tous, béats, de répondre : "Il faut parfois prendre de l'avance sur les peuples ! Pense à l'abolition de la peine de mort."

Tout le fait religieux de l'Union Européenne est là. Un moment donné, nous avions cessé de réfléchir et commencé à croire. Nous avons psalmodié des homélies, imaginé que l'union économique accoucherait forcément d'une union politique, que celle-ci serait naturellement démocratique. Il n'y a,  toute chose égale par ailleurs, aucune raison logique à ces deux suppositions. Pourtant, cela nous paraissait naturel, presque biologique. Nous nous croyions évolutionnistes, et nous étions créationnistes.

La nature même du plan était infaillible. Les Etats renâclaient à abandonner leurs souverainetés dans une unions politique, alors les bons européistes les pousseraient lentement à imbriquer leurs économies de façon si étroite que le jour où la crise surviendrait, ils n'auraient d'autre choix que de se contraindre à l'union politique.
Blague à part, vous savez ce que ça veut dire, en vrai, une union politique et budgétaire ? Aux Etats-Unis, par exemple, l'Etat de Floride est largement financé par le reste du pays. Pareil pour le Mississippi. A des niveaux dont la Grèce rêverait. C'est normal : une union budgétaire suppose que les régions les plus fortes du pays compensent les régions les plus faibles.
Alors, seriez-vous prêt, pour faire les Etats-Unis d'Europe, à accepter des transferts de fond massifs depuis la France et l'Allemagne en direction de la Grèce ? Les étudiants de Sciences-po des années 2000 considéraient que le jour venus, vous le seriez.

Eh bien, la grande crise est là, et je ne sais pas pour vous, mais les allemands ont répondu. Ils n'accepteront jamais de financer la Grèce. Ni le Portugal. Ni l'Espagne. Ni aucun autre pays de cette Europe. Le pays le plus peuplé et le plus riches a clairement dit qu'il lui importait peu que les pays européens plus faibles crèvent.

Et c'est ainsi que l'Allemagne tua pour de bon l'idée d'un grand pays européen, et que la stratégie qu'on nous avait tant prêché se révéla inefficace. Et nous, nous avions accepté une technocratie inhumaine, et une destructions de nos espaces démocratiques nationaux... pour rien.

Dorénavant, l'Union Européenne telle qu'elle existe, n'avancera plus. Elle est réduite à jamais à cette forme qui ne devait être que transitoire, celle d'une entité non-démocratique au service des Etats les plus riches ayant toute licence pour asservir les Etats les plus pauvres, avec comme seule légitimation la volonté de maintenir sa propre existence.

Une autre Europe naîtra, débarrassées des hallucinations du tout-économique. Et peut-être retrouverons nous dans un autre projet européen qui aurait appris de ses erreurs, l'enthousiasme que nous éprouvions jadis. Ou peut-être que l'Union Européenne disparaîtra totalement, nous ramenant vers nos Etats-nations boiteux et bornés, mais qu'au moins nous élisons nous-même.

Mais malheur à nous si cette Union Européenne survit tel quel. Car ce n'est plus l'Europe. Ce n'est plus un grand méta-Etat qui aurait à coeur de protéger ses peuples. Il n'y a plus qu'une superstructure bureaucratique exécutant son seul mandat -protéger la rente des pays les plus riches- comme un automate. Une administration sans autre but que sa propre survie, et qui organise la mise au pas des citoyens dans ce sens.

Et nous ayant cru inventeurs géniaux de la paix universelle, nous nous découvriront vulgaires plagiaires d'une des plus vieilles rengaines des hommes : la tyrannie.