mercredi 17 octobre 2012

La nuit ne fait que commencer...


Il y a des matins qui n’en sont pas vraiment.

Il y a des matins où il fait sombre, des matins où la journée qui s’annonce a des allures de nuit blanche à venir.  

Des matins où il faut tomber du lit à six heures pour aller se faire opérer de ce corniaud de ménisque, et s’y être préparé depuis une semaine de rend pas l’expérience plus joyeuse.

Et il y a des matins où une nouvelle dont  vous, et tant d’autres, aviez prédit l’arrivée depuis deux ans débarque sur vos flux RSS et vous n’avez rien pu faire, ni vous ni les autres, pour que cela n’arrive pas.  
Des matins où on lit que le gouvernement grec issu des élections de juin a avancé l’idée d’évacuer ses îles de moins de 150 habitants – pour pouvoir vendre les dites îles au secteur privé.

Un gouvernement issu du suffrage universel considère l’idée de vendre des parcelles de son territoire national aux investisseurs privés, et d’en déporter ses habitants.

C’est possible. C’est en Europe. C’est en Grèce. 

Je pourrais faire un laïus sur la stratégie du choc et l’utilisation par les capitalistes du coma économique de la société grecque pour démembrer la dernière mission régalienne qui lui restait, celle de préserver l’intégrité du territoire national – ce qui est le rêve ultime des ultra-libéraux : avoir enfin leur pays à eux, sans Etat.
Sur le mépris, l’immense et cosmique mépris dont il faut faire preuve envers l’idée même de peuple et de démocratie pour oser même proposer cette éventualité.
Je pourrais ironiser sur cette obsession délirante d’éviter la faillite de la Grèce, quitte à détruire la Grèce.

Mais ce qui me saute aux yeux, plus que jamais, c’est l’effondrement complet et transversal d’un mythe. Le gouvernement Samaras est issu du suffrage universel, en tant que tel porteur de la « Volonté nationale » et sensé porter les intérêts de son peuple. Hors il conçoit la possibilité de détruire son propre pays. Cela doit nous imposer deux conclusions.
Premièrement, le gouvernement représentatif n’est pas la démocratie et nous vivons dans un mensonge depuis deux cents ans. Il n’y  rien de tel que la « volonté nationale » portée par une assemblée d’élus, à moins qu’on ne conçoive que la nation puisse vouloir explicitement s’autodétruire. La volonté nationale, si une telle chose existe, s’exprime directement par le peuple assemblé, ou ne s’exprime pas. Aujourd’hui, elle ne s’exprime pas. Ni en Grèce, ni en France, ni en Allemagne, ni en Espagne, ni en Italie, ni aux Etats-Unis.  La tenue d’élections est une illusion – on n’y choisit pas nos lois, on y choisit nos maîtres, ceux qui pendant cinq ans auront quartier libre pour faire ce qu’ils veulent, sans aucune possibilité de contrôle par nous.  Je dis bien aucune, car il est bien évident qu’après l’échec du vote de 2005 sur le traité constitutionnel européen, plus jamais un gouvernement représentatif ne prendra le risque de refaire voter quoique ce soit d’important par un référendum populaire.

Deuxièmement, il va bien falloir ouvrir les yeux sur la nature de l’agression qui frappe nos pays les uns après les autres. Un pays, la Grèce, fait face à des gens prétendant avoir des droits sur elle et sur ses finances. Elle est obligée de se rationner pour faire face. Sa population crève de trouille et de haine, son gouvernement répond par la torture policière d’une main (oui, ça a commencé) et par la montée des ligues fascistes de l’autre. Et toujours dans le cadre de cette confrontation, ce pays finit par perdre du territoire par déporter ses habitants. 

Comme il s’agit, non pas d’un pays étranger, mais d’intérêts  financiers privés qui agressent par gouvernements vassaux interposés (Allemagne et France) des collectivités non marchandes détentrices de bien commun, je pense que je pourrais parler de lutte des classe. Mais la lutte des classes, c’est ringard, hein ? Ça n’existe plus, pas vrai ? Même Fleur Pellerin le dit. Donc je ne vais pas dire « lutte des classes ».

Vous pouvez vous boucher les oreilles et continuer d’appeler ça une « crise économique ». 

Moi, je vais commencer à parler de guerre.


2 commentaires:

  1. Pas drôle tout ça mais bien vrai. Tu ne fais que mentionner la "stratégie du choc"; je crois qu'il faut au contraire en parler plus à fond et montrer que le grand projet de Friedman est toujours en marche ,relayé par ses élèves-disciples-intoxiqués qui sont aux manettes dans de nombreux pays et qui semblent avoir pris l'Europe comme terrain de nouvelles expérimentations. Il faut nous expliquer tous les jours comment par petite touches on détruit un pays en abandonnant l'état.
    Au fait combien ça coûte une île grecque ? ça doit être sympa!

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  2. Cher Baltaz,
    On ne saurait rejeter les 200 dernières années de démocratie au motif que les élus manquent rarement de trahir leurs mandants. Si l'on croit, comme c'est mon cas, que la forme ultime de la démocratie c'est l'anarchie politique (pas le bazar, mais l'acceptation librement consentie par chacun des règles nécessaires à la vie en communauté), alors on a fait pas mal de progrès en 200 ans, certes il reste du boulot, mais quand même... et 200 ans c'est bien court à l'échelle de l'humanité. Mais ce progrès n'est pas linéaire. Il est fait de flux montants et de reflux descendants. Et depuis quelques temps on est en plein reflux, mais ne désespérons pas c'est quand la mer se retire qu'on trouve les grandes bahines, ces étendues d'eau qui résistent au reflux, qui porteront plus haut les vagues de la marée suivante. Résistons, avec la confiance que le flux remontera car c'est le sens même de l'histoire humaine.
    Un mot pour Sbrigani, ce serait faire bien trop d'honneur à Milton Friedman que de croire que ce sont ses "élèves" qui sont aux manettes. Ceci n'est qu'un épisode de plus de la lutte entre les anciens et les modernes, les libéraux et les keynésiens, les cyniques et les humanistes. Mr Friedman n'en fut qu'un rouage, une toute petite roue, pas beaucoup plus.
    Bingo

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