samedi 23 juin 2012

Euro-superstitions

Vous me croirez, si je vous raconte comment en 2004, on obligeait les étudiants de Sciences-Po à apprendre par coeur la Constitution Européenne ? Ne riez pas.

Avec le recul des années, ça paraît effectivement dingue. A l'ouest. Pourtant, je n'arrive pas à en vouloir aux gamins que nous étions. Il faut l'avoir vu et vécu de l'intérieur pour comprendre. L'Europe, l'Europe... Pour nous, c'était la réponse. Quand on a vingt ans et que l'alpha et l'omega de la lutte politique est l'antifascisme et la fin des guerres, et que des professeurs encravatés, éloquents et souvent eux-mêmes sincèrement convaincus, vous expliquent que pour la première fois dans l'Histoire, les peuples s'aiment grâce à l'Europe !

Vous n'avez pas encore entendu parler de déficit démocratique, vous n'avez pas encore lu Marx. Vous ne savez encore rien du monde, d'autant plus que sociologiquement, vous avez été relativement épargné dans la vie. Et vous trouvez l'idée belle, alors vous roulez avec.

En ce temps-là, l'exposé le plus traité par les élèves posait la question suivante :
"Une Union monétaire est-elle possible sans union politique ?"

On attendait de l'élève qu'au terme d'un exposé de dix minutes en deux ou trois parties, il conclut en expliquant que bien évidemment, l'union politique devra venir, et que l'union monétaire est là pour forcer à terme l'union politique en liant de fait les intérêts des Etats entre eux. Parfois, un original souverainiste vous soutenait que tant  que l'union se faisait en dehors du contrôle des peuples souverains, elle ne pouvait être et ne serait jamais légitime. On lui répondait, avec un sourire entendu, que "ça viendra." Et nous tous, béats, de répondre : "Il faut parfois prendre de l'avance sur les peuples ! Pense à l'abolition de la peine de mort."

Tout le fait religieux de l'Union Européenne est là. Un moment donné, nous avions cessé de réfléchir et commencé à croire. Nous avons psalmodié des homélies, imaginé que l'union économique accoucherait forcément d'une union politique, que celle-ci serait naturellement démocratique. Il n'y a,  toute chose égale par ailleurs, aucune raison logique à ces deux suppositions. Pourtant, cela nous paraissait naturel, presque biologique. Nous nous croyions évolutionnistes, et nous étions créationnistes.

La nature même du plan était infaillible. Les Etats renâclaient à abandonner leurs souverainetés dans une unions politique, alors les bons européistes les pousseraient lentement à imbriquer leurs économies de façon si étroite que le jour où la crise surviendrait, ils n'auraient d'autre choix que de se contraindre à l'union politique.
Blague à part, vous savez ce que ça veut dire, en vrai, une union politique et budgétaire ? Aux Etats-Unis, par exemple, l'Etat de Floride est largement financé par le reste du pays. Pareil pour le Mississippi. A des niveaux dont la Grèce rêverait. C'est normal : une union budgétaire suppose que les régions les plus fortes du pays compensent les régions les plus faibles.
Alors, seriez-vous prêt, pour faire les Etats-Unis d'Europe, à accepter des transferts de fond massifs depuis la France et l'Allemagne en direction de la Grèce ? Les étudiants de Sciences-po des années 2000 considéraient que le jour venus, vous le seriez.

Eh bien, la grande crise est là, et je ne sais pas pour vous, mais les allemands ont répondu. Ils n'accepteront jamais de financer la Grèce. Ni le Portugal. Ni l'Espagne. Ni aucun autre pays de cette Europe. Le pays le plus peuplé et le plus riches a clairement dit qu'il lui importait peu que les pays européens plus faibles crèvent.

Et c'est ainsi que l'Allemagne tua pour de bon l'idée d'un grand pays européen, et que la stratégie qu'on nous avait tant prêché se révéla inefficace. Et nous, nous avions accepté une technocratie inhumaine, et une destructions de nos espaces démocratiques nationaux... pour rien.

Dorénavant, l'Union Européenne telle qu'elle existe, n'avancera plus. Elle est réduite à jamais à cette forme qui ne devait être que transitoire, celle d'une entité non-démocratique au service des Etats les plus riches ayant toute licence pour asservir les Etats les plus pauvres, avec comme seule légitimation la volonté de maintenir sa propre existence.

Une autre Europe naîtra, débarrassées des hallucinations du tout-économique. Et peut-être retrouverons nous dans un autre projet européen qui aurait appris de ses erreurs, l'enthousiasme que nous éprouvions jadis. Ou peut-être que l'Union Européenne disparaîtra totalement, nous ramenant vers nos Etats-nations boiteux et bornés, mais qu'au moins nous élisons nous-même.

Mais malheur à nous si cette Union Européenne survit tel quel. Car ce n'est plus l'Europe. Ce n'est plus un grand méta-Etat qui aurait à coeur de protéger ses peuples. Il n'y a plus qu'une superstructure bureaucratique exécutant son seul mandat -protéger la rente des pays les plus riches- comme un automate. Une administration sans autre but que sa propre survie, et qui organise la mise au pas des citoyens dans ce sens.

Et nous ayant cru inventeurs géniaux de la paix universelle, nous nous découvriront vulgaires plagiaires d'une des plus vieilles rengaines des hommes : la tyrannie.



1 commentaire:

  1. Ô combien d'accord avec ton analyse ... je n'osais point commenter l'un de tes précédents billets tant il me semblait une parfaite expression de mes pensées que je ne voulais modifier d'aucune façon que ce soit.

    Cette fois, j'ai juste une petite chose à ajouter : l'UE (qui n'est en rien l'Europe) ne fait pas que protéger les états les plus riches. C'est avant tout une machine bureaucratique qui alourdit au plus haut point les décisions démocratiques, les rendant impossibles. La seule façon de faire avancer l'UE, c'est le côté autoritaire de quelques états prédominants. Quant aux rentiers, beaucoup sont simplement des intérêts privés qui tirent leur épingle de l'agonie démocratique de l'UE bien plus que les Peuples. Donc états les plus riches certes, mais combien d'autres intérêts privés qui n'expriment en rien un quelconque intérêt général ?

    Merci en tous cas pour cet excellent billet, une fois encore !

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