lundi 7 mai 2012

Cosmétique républicaine

Les lendemains d’élections sont les pires des lundis.

J’ai vécu la journée d’hier comme un hui-clos pesant. Être du bon côté de la fracture numérique a un prix, celui de la pulsion frénétique à chercher sur le net les info qu’un utilisateur chevronné de la Toile 2.0 est sensé savoir trouver. On mourrait de ne pas savoir.

Il fallut attendre 20h pour respirer, mais le souffle était court. 51% alors qu’on en espérait 53, c’est avoir inconsciemment passé quinze jours à marcher au bord d’un gouffre et ne s’en apercevoir à l’arrivée.

Je ne vais pas revenir sur la soirée qui suivit, le soulagement, le relâchement des nerfs, la joie de circonstance et la fête de la Bastille. Sincères ou pas, les effusions sont légitimes un soir d’élection. Refuser au pays le moment des passions incontrôlées et hypocrites, des danses collectives et des chansons naïves, c’est lui refuser son cœur et sa culture.

Mais nous sommes lundi. La course reprend. Ce qui vient de nous arriver, nonobstant les deux semaines d’apnée et l’inspiration salutaire d’hier soir, n’était pas une simple élection. C’était le plébiscite organisé, esthétisé et faussement populaire de la monarchie quinquennale sous laquelle nous vivons depuis soixante ans et qui s’assure ainsi que « tout change pour que rien ne change. » Le système de la Ve République s’autorise une parenthèse gauchiste pour que son essence droitière reste intacte.

Si vous pensez que j’exagère en parlant d’essence droitière, prenez le temps de considérer ce que vous avez vécu ces derniers mois. La république, dont la légitimité n’est jamais remise en doute parce que gaullienne, vous a fait choisir un homme. Vous l’avez jugé sur des notions aussi vagues que sa « stature présidentiable », comment il pourrait représenter la « grandeur de la France », comment il pourrait « rassembler ». Personne ne prend la peine d’expliciter ce que serait exactement une « stature », et peu de gens débattent sur ce qui constitue de la France la « grandeur ». L’adjectif « présidentiable » n’est que peu descriptif, il ne fait que désigner celui qui aurait la dite stature – donc cet espèce de tenue aristocratique qui donnerait ou nom le don mystique de pouvoir prétendre à la fonction suprême.

Ce champ lexical n’est pas celui de la raison. Donc ce n’est pas celui de la République.

C’est un vocabulaire religieux, qui fait appel non pas au débat public, mais à des notions inexplicables que chaque individu doit tâcher de ressentir intérieurement. Ce vocabulaire est donc, historiquement et culturellement, monarchiste.

Après vous avoir fait voter pour ce président mystique, on vous fait élire un Parlement. C’est la grande concession du système, et vous noterez alors à quel point celui-ci s’en méfie. L’élection législative n’est pas sexy, elle ne met en jeu aucun culte du chef, alors on s’en débarrasse aussi vite que possible après la présidentielle avec comme mot d’ordre de donner les moyens au chef de faire ce qu’il veut.

Ce système électoral, à lui seul, verrouille idéologiquement la République – et ce, même si la gauche de gouvernement arrive à s’y faire une place. Car, et c’est la plus belle et la plus perverse fonction du système, cette pyramide de pouvoir est conçue pour donner le tournis à celui qui est en haut. La Ve République est faite pour endoctriner le président gauchiste avant qu’il ne puisse changer le système, car pour s’y faire élire, celui-ci doit d’abord se plier au culte du chef, céder aux tentations de la sur-personnalisation, et in fine à la monarchisation. Et la monarchisation, les enfants, à votre avis... Ca pousse à gauche ou ça pousse à droite ? Poser la question, c’est y répondre.


Que la droite s’accommode aussi bien de ce système n’a rien de surprenant : c’est son système. Elle s’y sent comme un poisson dans l’eau. L’autoritarisme et la discipline des masses lui sont idéals, et elle s’y plie le doigt sur la couture du pantalon. Cela fait partie de son folklore.
Ca ne semble pas faire partie de celui de la gauche, en revanche, d’où les espoirs systématiquement mis dans le genre de victoire que les journées comme le 6 mai nous octroient. Pourtant, à chaque fois, les sociaux-démocrates semblent se couler sans difficulté dans ce moule, et cela ne lasse pas d’interpeler. C’est que cette étiquette « gauche » qui regroupe à la fois le centre-gauche et la gauche radicale est extrêmement trompeuse, les premiers s’étant fait une spécialité de s’approprier les succès des luttes menées par les seconds – bien souvent, d’ailleurs, contre eux. Qui se rappelle que Clémenceau était un socialiste ? Que ceux-ci ont, en France et en Allemagne, voté les crédits de guerre en 1914 ? Que les réformes du Front Populaire ont été imposées à Blum par la rue ? Que c’est Jules Moch, un ministre socialiste, qui a fait donner l’armée contre les mineurs en grève en 1948 ? Qu’en 2002, le PS français soutenait l’adversaire de Lula au Brésil, avant de retourner veste ?

La gauche et l’extrême-gauche ont une tradition d’alliance contre l’ennemi commun de droite. A la faveur de cela, le public s’est habitué à faire l’amalgame entre les deux et ainsi à attribuer à la gauche de gouvernement les succès et les luttes de la gauche radicale. Pour analyser le PS convenablement, il faut oublier cet amalgame.
Et une fois que c’est fait, il ne reste qu’un parti gestionnaire, héritier du paternalisme des trente glorieuses et qui a comme vocation la conquête du pouvoir. Et c’est tout. Tout le bagage idéologique solide de la gauche venant de son aile radicale, le centre-gauche isolé de celle-ci n’est plus qu’une jachère politique, où ne pousse plus que les graines que le vent dépose. C’est ainsi que le PS est devenu au fil du temps, esclave des modes, se soumettant mollement au reaganisme dans les années 80, se concentrant sur les histoires de mœurs et abandonnant le terrain économique dans les années 90, adhérant au blairisme dans les années 2000, n’osant jamais faire autre chose que de suivre la pensée unique du moment.
Avec l’affaiblissement de l’extrême-gauche dans les années 90,  le PS n’avait plus personne sur qui plagier ses idées à gauche, et plutôt que de développer les siennes, a décidé de plagier à droite.
Et a ainsi totalement loupé le train de l’altermondialisme, qui prend enfin son essor aujourd’hui avec la constitution en appareils politiques efficaces des gauches radicales européennes, celles-ci ayant fini par synthétiser elle-même ces nouvelles aspirations sociales et écologiques.

Le PS est donc en-dehors de la vraie partie qui se joue maintenant, et qui comme l’a écrit Lordon, se joue entre ceux qui veulent rester dans le cadre actuel, et ceux qui ont mis au point des ambitions de sortie de ce cadre. Et en étant en-dehors de ce combat tout en cherchant le pouvoir, en voulant gouverner sans changer le cadre, il prend de fait le pari de rester dans le cadre. Et, ainsi de donner raison à la formule : changer pour que rien ne change.


On en revient donc toujours au même point : la Ve République est un régime pervers et doit être abattue. C’est une république plébiscitaire, créée dans des circonstances particulières, sans constituante, pour répondre à une situation de trouble précise. En d’autres mots, c’est un régime qui aurait dû être transitoire. Malheureusement, ce régime a organisé sa propre invulnérabilité en assurant l’endoctrinement de l’ensemble des partis suspects de pouvoir le changer.
C’est un régime qui se justifie sur un seul et unique argument : ne pas retrouver la proverbiale instabilité de la IVe République. Cet argument est une tromperie, car derrière l’apparence de stabilité donnée par l’inamovibilité du Président et du Premier ministre, combien de remaniement ministériels ? Quid de la valse des secrétaires d’Etat ? Il ne se passe plus un an sous la Ve République sans remaniement ministériel majeur. Quelle politique de long terme peut être soutenue dans de telles conditions ?

République superficielle, république d’apparence, la Ve République a en réalité une peur bleue du débat et du choix démocratique. Elle installe à l’occasion de l’élection présidentielle un culte du chef qui invite l’électeur à se prononcer non sur des idées, mais sur des appréciations mystiques de stature et d’aura. Elle consacre le vote utile, qui coule dans le béton la difficulté pour le citoyen de voter selon ses convictions en lui assurant toujours la présence d’un candidat-du-pire-qu’il-faut-éliminer. Et elle parachève le travail en faisant de l’élection du parlement, acte démocratique fondateur, une simple formalité. Ecoutez-les vous dire « donnez à Hollande les moyens de sa politiques aux législatives !»

Des « moyens » ! Mais comment ose-t-on parler ainsi du Parlement ? Voici l’élection des représentants du peuple, siégeant en assemblée, possédant la force législative, cette Assemblée où s’est faite et défaite l’Histoire républicaine, voici cette élection subordonnée au plébiscite délirant d’un homme élu soit sur la base d’une ferveur quasi-religieuse, soit par dégoût de son concurrent ! Le choix de juin devrait être beaucoup plus important que celui de mai. Pourtant, il lui sera accessoire. Ce n’est pas innocent : l’élection législative est la plus démocratique et la plus symbolique de toutes, et un système aussi intrinsèquement conservateur se doit de la désarmer.

Nous vivons dans un régime qui fuit le peuple, qui l’humilie, qui lui interdit l’accès à sa raison et au débat non pas en le privant d’élections, mais en faisant en sorte à chaque élection que le peuple ait quelque chose de plus urgent à faire, comme choisir un chef, éliminer un danger, ou donner des « moyens » au dit chef. Elle fait peser sur ce peuple la sourde et redoutable menace, s’il ne se plie pas à ces invectives implicites, de créer ce qu’il est convenu d’appeler « les conditions de l’inaction », terrifiante appellation qui ne désigne ni plus ni moins que le monde où les politiques et les citoyens oseraient discuter entre eux avant de faire n’importe quoi. A ce titre, la Ve République est une application frappante du sophisme néo-libérale appliqué à une institution politique : est légitime ce qui est efficace, est efficace ce qui est rapide, et rien n’est moins rapide que le débat démocratique, donc il faut limiter le débat démocratique.


Le vrai combat contre la droite n’est pas à qui dominera cette fausse république. Il est à celui qui arrivera à la détruire.

Nous sommes lundi matin et tout reste encore à faire.




2 commentaires:

  1. un post dynamique et une analyse intéressante au lendemain d'une victoire dite de la gauche.L'ami Mélanchon ne devrait pas la renier...Mais,pour convaincre et réussir, peut-être ne faut-il pas utiliser de mots trop violent "...Il est à celui qui arrivera à la DETRUIRE" . La gauche de la gauche et un à droite proposent plus "conscensuellement" de passer à une VIeme république... Les mots sont importants pour ne pas effrayer le bourgeois...

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  2. Oui, tout reste à faire alors qu'il semblait qu'on avait un peu avancé avec cette campagne du front de gauche... Heureusement qu'il y a des post comme celui-ci, , suffisamment lucide pour ne pas se faire trop d'illusion, mais suffisamment optimiste pour que l'on ait encore envie d'avancer, et pas si violent que ça je trouve, sbrigani.
    Moi je suis de la classe moyenne aisée (= bourgeois ?) et ces propos m'enchantent plus qu'ils ne m'effraient ;-)

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