Il faut qu’on parle.
Je sais, ça ne fait jamais plaisir de se lever le matin pour
trouver des reproches dans les céréales.
Oh, je sais que tu fais ce que tu peux, que tu n’es pas aidé, que les
médias sont nuls. Je sais que l’été fut pourri, le printemps détestable et l’hiver
mortifère.
Mais maintenant, il faut se reprendre. Lâche ta console.
Enlève ces écouteurs et arrête de chantonner la Parisienne Libérée toute la
journée. Et pour l’amour du ciel, lave cette écharpe rouge ! Tu ne l’as
pas lavé depuis la marche de la Bastille en 2012. Elle sent le rance et la
déception.
…Quoi, c’est dur ? Je comprends rien ? Non mais
attends, tu crois que tu es le seul à être déçu ? Tu te voyais déjà menant
la foule révolutionnaire en délire et au lieu de ça, tu as eu Hollande et les
municipales. La belle affaire. On en prend tous plein la gueule depuis deux ans,
tu sais. Alors quoi ? Tu fais quoi, maintenant ? Tu te remues le cul,
ou tu te laisse couler ?
…Comment ça, retourner sur ton blog dénoncer l’extrême-droite ?
Ah non, ça va pas recommencer… Je… Ecoute.
…Non mais je sais, no pasaran, tout ça… Mais oui bien sûr,
je suis d’accord, mais…
…Ecoute un peu. Ecoute une seconde.
Tu ne peux pas. Ok ? Tu-ne-peux-pas.
…Mais… Non arrête, mon Front. Ce n’est pas une question d’honneur.
Mais non, je ne suis pas en train de dire qu’il faut abandonner le terrain.
Mais regarde les choses en face une seconde !
…Hein… ?
…Putain, mais arrête un peu ! Six pour cent ! Tu
as fait six pour cents ! Et cette présidentielle qui t’avait tellement
galvanisé ? Tu en avais fait onze ! Et pourtant tu es là, à réagir au
quart de tour à toutes les offensives du FN, à vouloir le combattre sur tous
ses terrains comme si vous étiez à armes égales !
Ca s’appelle du déni, ça, mon Front.
…Oui, je sais. Tu ne veux pas laisser les fascistes respirer.
Super. Mais c’est ce que j’essaie de te dire : tu n’es pas en état de les
empêcher de respirer. Leur poumon est devenu trop gros, ton lacet, trop fin. Tu
t’épuises, Front. Regarde-toi ! Tu perds des kilo à vue d’œil !
Allez, arrête. Mange un peu. Dors. Lis tes livres. Sors un
peu dans la rue ! Tu ne voulais pas
travailler un peu dans l’associatif ? C’est le moment !
…Attends, qu’est-ce que tu écris, là ?
…Ah non. Stop. Tu vas arrêter avec Ménard, Morano, et
Sarkozy.
…Mais je m’en fous ! Bien sûr, qu’ils font n’importe
quoi, bien sûr qu’ils défigurent la République et la laïcité et … Et… Merde, c’est
la droite ! Et tu réagis à chacune de leur provocation ! Tu te rends
compte à quel point ça joue en leur faveur ? Ils le savent très bien qu’en
tant que parti de gauche à prétention intellectuelle, tu ne peux pas t’empêcher
de pondre une dissertation à chacune de leur singerie pour montrer à quel point
ils sont hors de tout raisonnement logique. Tu sais ce que c’est ? C’est
de l’autosatisfaction à peu de frais ! Passer du temps et de l’énergie à
démonter sérieusement la messe pro-corrida de Ménard, tu ne penses pas que c’est
sombrer dans la facilité ?
…Hein ? Mais oui, réagis si tu veux. Mais par une
blague. Un sarcasme. N’importe quoi qui ne légitime pas comme sérieux des
clowns pareils. Et n’y passe pas une heure. Et n’en parle pas à la radio !
Les medias te laissent si peu de temps de paroles, et toi tu acceptes de l’utiliser pour parler des autres, toujours des autres !
Tu gâches tout.
Et tu sais, je vais finir par croire que ta famille a une
mauvaise influence. Oh, Jean-Luc, je ne l’accable pas, il est dans un état pire
que le tien depuis que Pierre lui a fait des crasses. Mais Raquel, Eric et
Alexis, je suis désolé : ils sont complètement shootés. Si. Shootés au symbolisme.
…Ah si, je te jure. Non, mais arrête, moi aussi j’aime bien
Jaurès et l’Internationale, de temps en temps ça détend, ça fait du bien, d’ailleurs
tu me connais, je vais pas te chanter Ramona, hahaha. Mais je t’assure que là, ça devient malsain.
…Mais parce que les gens s’en foutent !
…Si.
…Les jeunes encore plus.
…Bah à ton avis ? La précarité, la répression
policière, la baisse des salaires, la fin des retraites… Oui, tu en parles.
Ouais. Mais tu en parle autant que de la Commune de Paris. Si, les gens s’en
foutent aussi, de ça. Et le résultat, c’est que tu mélanges dans ton discours
quotidien de l’important et du symbolique. Du truc-qu’on-connait et du truc-qu’on-connait-pas-et-qu’on-s’en-fout.
Et du déprécie ce que tu dis sur le sujet d’importance.
…Quoi, la Marine ? Bah la Marine, pendant ce temps,
elle parlait des radars sur la route pour dire qu’elle était contre. Ah mais
ouais, c’est poujadiste. Mais comparé à toi qui parlais, pendant tout juillet, que de l’anniversaire de la mort de Jaurès ?
A ton avis, lequel des deux discours paraissait le plus se soucier de la vie
quotidienne des gens ? Indépendamment de l’opinion émise sur le sujet ?
C’est ça que j’essaie de te dire. Oublie les symboles
pendant quelques temps. Reconcentre-toi. Arrête de penser que tu peux les
combattre partout tout le temps, tu n’en as pas encore l’énergie et ils ne t’en
laisseront pas le temps de paroles.
Tu as tellement de points forts. Tes prédictions sur la
conjoncture, toutes réalisées. Les intellectuels proches de toi. La générosité
de ton discours. Sa synthèse entre écologie et socialisme. Maintenant, travaille
le fond. Travaille le terrain, petit bout par petit bout, et consolide tes conquêtes. Choisis-toi un champ de bataille où ces forces sont
plus susceptibles de jouer en ta faveur – au hasard, le net, et concentre tes
forces dessus. Ne te vends pas aux médias traditionnels ; si tu es invités
sur un plateau télé où tout le monde insiste pour parler du retour de Sarkozy,
tu claques la porte et tu postes une vidéo sur youtube.
Et nom de dieu, arrête avec cet air de chien battu, on
dirait que tu as intériorisé ton éternelle défaite ! Rien n’est encore joué, rien n’est jamais
joué. C’est juste un nouveau round qui commence.
Et comme d’habitude, ce n’est pas un dîner de gala.
PS :
Bon post, bon travail, la lutte sera longue, petit par petit post longuement réfléchit, on avance doucement, mais là, tu as raison, c'est qu'il ne faut pas tomber dans le jeu réactionnaire et porter dans le long terme.
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