jeudi 25 octobre 2012

L'aviation de réserve du capitalisme

Octobre 2012 aura été le mois des volatiles.

Je ne parle pas du piaf parisien moyen, roucouleur et pondeur d'oeufs même pas coque dans mes pots de fleurs. Lui, il fait ce qu'il peut. Je ne parle pas non plus de la volaille poulaillère que la femme de Manuel Valls a fait intervenir rue de la Roquette pour déloger sans plus de raison que cela les SDF qui salissaient son trottoir. Je parle de ce petit coup de bélier que les ultralibéraux ont mis dans la porte de l'Etat en utilisant comme chair à canon un petit groupe d'auto-entrepreneurs mentalement lobotomisés.

Rappelons les faits : suite à une rumeur faisant état d'un projet gouvernemental de taxation des plus-values, une agence de com de droite, dont je soulignerai par pure gourmandise qu'elle est fiscalement domiciliée hors de France, a lancé sur le net le buzz des entrepreneurs "geonpis" qui est le verlan de "pigeon", ce qui prouve bien que ce sont des gens modernes. Puis le net a pris le relai. Une certaine twittosphère constituées d'auto-entrepreneurs aussi ingénus qu'inféodés à la niche fiscale qui conditionne leur statut a pris le relais, suivis du Medef qui, sur les media généralistes, en a joui gravement. La suite, vous la connaissez : le gouvernement a reculé avant même d'avoir fait mine d'avancer.

Je ne m'étendrai pas sur l'ahurissant message de faiblesse que notre Etat "de gauche" a ainsi fait parvenir au grand capital.

Ce qui est intéressant ici, c'est comment des gens fiscalement précaires comme les auto-entrepreneurs ont été amenés à défendre leur précarité bec et ongles, avec comme seul justification morale une prétention à être plus malins et talentueux et courageux que tous les autres.
Ou comment le rêve de trente-mille glandus qui se fantasment en Steve Jobs entretient la machine à exploiter.

Notez que ce n'est pas nouveau du tout, du tout. Souvenez-vous , au XIXe siècle...

Ben quoi ? Vous pensiez pouvoir venir squatter ma poche intérieure et échapper à la séance diapo de rigueur ? Raté.

Donc, au XIXème siècle, le mode de production dit "capitaliste" établit définitivement sa domination sur l'Europe et l'Amérique. Ce n'est pas par l'échelle de la production ni par la marchandisation que la nature de ce mode de production social diffère des anciens, mais par la nature des relations entre ses acteurs. En effet, la marchandisation existait déjà depuis longtemps - de nombreuses places de marchés où s'échangeaient aussi bien des denrées que des titres bancaires existaient déjà depuis deux bons siècles.
Non, ce qui est nouveau avec le capitalisme, c'est la création d'un marché du travail, où désormais les offreurs de force de travail (les ouvriers) seraient mis en relation avec les demandeurs (employeurs) dans le même esprit qu'un vendeur de choux négociait avec un acheteur de choux sur le marché des choux, c'est-à-dire en postulant leur égalité humaine et juridique. Là où la féodalité organisait les rapports de production hors de la négociation marchande (on travaillait pour le seigneur parce qu'il était le seigneur et pas pour un salaire), les révolutions inspirées des Lumières, en déclarant les individus égaux, permettent la création d'un marché du travail.

Bien. Jusque-là, rien à redire en théorie sur un monde où des individus égaux négocient entre eux pour établir une relation contractuelle consensuelle qui porte les intérêts de chacun sans nuire à ceux de l'autre.

Sauf que dans les faits, ça a été un massacre. Remplacer le mot "inégal" par le mot "égal" dans un contrat fait sans doute plus joli, ça n'a pas suffit cependant à effacer la dure réalité : il y avait d'un côté des types affamés qui mourraient dans la semaine s'ils ne prenaient pas le premier boulot, et de l'autres des gens souvent héritiers des anciennes fortunes aristocrates ou constituées à l'époque de la féodalité qui pouvaient se passer des premiers au besoin. Il n'y a jamais d'égalité dans la négociation  entre travail et capital, parce que le capital peut patienter des semaines ou des mois avant d'être rentabilisé alors que le travail, lui, doit manger et nourrir ses enfants tous les jours.

Quel rapport avec les pigeons, me diriez-vous ?

Celui-ci : le système décrit ci-dessus a la formidable propriété de faire croire au travail qu'il joue son intérêt. Le travailleur est juridiquement égal à l'employeur et par conséquent, tout le reste est sensé être affaire de choix et d'habileté personnelle. Si vous n'y arrivez pas, vous devez réessayer et surtout ne jamais remettre en question le cadre de cette compétition parce qu'après tout, vous avez l'égalité ! Que voudriez-vous de plus ?
Les jeunes d'aujourd'hui ont tellement intégré leur précarisation qu'ils ne songent même plus à lutter contre. Leur malheur présent est gravé dans le marbre et seul leur reste, pour se consoler, un hypothétique lendemain vengeur où, enfin, leurs efforts paieront, leur génie sera reconnu et leur compte en banque mieux rempli. Une sorte de crédit sur l'ambition, en somme, qui viendrait engraisser le reste des crédits sur lesquels nous vivotons aujourd'hui.

Au XIXème siècle, les ouvriers ont appris à la dure que leur isolation sous prétexte d'en faire des acteurs économiques indépendants et égaux, et leur mise en concurrence individuelle, n'avait abouti qu'à leur mise en esclavage pure et simple. Il a fallu la destruction des jours fériés, la généralisation du travail des enfants et les déportations massives de main-d'oeuvre selon les besoins des producteurs pour qu'ils s'en rendent compte. La culture de l'auto-entrepreneur d'aujourd'hui, résultat de l'inculture historique et politique crasse de la génération dite "Y", est en train de reproduire le même schéma.

Donc à tous ces types qui ne veulent pas participer aux efforts collectifs et qui ne rêve que d'être le seul mec sur cent qui s'en sortira, souvenez-vous d'une chose. En face, les riches ont une stratégie de classe. En face, ils se serrent les coudes. En face, ils ont lu et très, très bien compris Marx.

Et si un jour ils vous acceptent en leur sein, ce ne sera jamais pour votre génie ils s'en moquent, mais ce sera toujours par gratitude d'avoir trahi les vôtres.





mercredi 17 octobre 2012

La nuit ne fait que commencer...


Il y a des matins qui n’en sont pas vraiment.

Il y a des matins où il fait sombre, des matins où la journée qui s’annonce a des allures de nuit blanche à venir.  

Des matins où il faut tomber du lit à six heures pour aller se faire opérer de ce corniaud de ménisque, et s’y être préparé depuis une semaine de rend pas l’expérience plus joyeuse.

Et il y a des matins où une nouvelle dont  vous, et tant d’autres, aviez prédit l’arrivée depuis deux ans débarque sur vos flux RSS et vous n’avez rien pu faire, ni vous ni les autres, pour que cela n’arrive pas.  
Des matins où on lit que le gouvernement grec issu des élections de juin a avancé l’idée d’évacuer ses îles de moins de 150 habitants – pour pouvoir vendre les dites îles au secteur privé.

Un gouvernement issu du suffrage universel considère l’idée de vendre des parcelles de son territoire national aux investisseurs privés, et d’en déporter ses habitants.

C’est possible. C’est en Europe. C’est en Grèce. 

Je pourrais faire un laïus sur la stratégie du choc et l’utilisation par les capitalistes du coma économique de la société grecque pour démembrer la dernière mission régalienne qui lui restait, celle de préserver l’intégrité du territoire national – ce qui est le rêve ultime des ultra-libéraux : avoir enfin leur pays à eux, sans Etat.
Sur le mépris, l’immense et cosmique mépris dont il faut faire preuve envers l’idée même de peuple et de démocratie pour oser même proposer cette éventualité.
Je pourrais ironiser sur cette obsession délirante d’éviter la faillite de la Grèce, quitte à détruire la Grèce.

Mais ce qui me saute aux yeux, plus que jamais, c’est l’effondrement complet et transversal d’un mythe. Le gouvernement Samaras est issu du suffrage universel, en tant que tel porteur de la « Volonté nationale » et sensé porter les intérêts de son peuple. Hors il conçoit la possibilité de détruire son propre pays. Cela doit nous imposer deux conclusions.
Premièrement, le gouvernement représentatif n’est pas la démocratie et nous vivons dans un mensonge depuis deux cents ans. Il n’y  rien de tel que la « volonté nationale » portée par une assemblée d’élus, à moins qu’on ne conçoive que la nation puisse vouloir explicitement s’autodétruire. La volonté nationale, si une telle chose existe, s’exprime directement par le peuple assemblé, ou ne s’exprime pas. Aujourd’hui, elle ne s’exprime pas. Ni en Grèce, ni en France, ni en Allemagne, ni en Espagne, ni en Italie, ni aux Etats-Unis.  La tenue d’élections est une illusion – on n’y choisit pas nos lois, on y choisit nos maîtres, ceux qui pendant cinq ans auront quartier libre pour faire ce qu’ils veulent, sans aucune possibilité de contrôle par nous.  Je dis bien aucune, car il est bien évident qu’après l’échec du vote de 2005 sur le traité constitutionnel européen, plus jamais un gouvernement représentatif ne prendra le risque de refaire voter quoique ce soit d’important par un référendum populaire.

Deuxièmement, il va bien falloir ouvrir les yeux sur la nature de l’agression qui frappe nos pays les uns après les autres. Un pays, la Grèce, fait face à des gens prétendant avoir des droits sur elle et sur ses finances. Elle est obligée de se rationner pour faire face. Sa population crève de trouille et de haine, son gouvernement répond par la torture policière d’une main (oui, ça a commencé) et par la montée des ligues fascistes de l’autre. Et toujours dans le cadre de cette confrontation, ce pays finit par perdre du territoire par déporter ses habitants. 

Comme il s’agit, non pas d’un pays étranger, mais d’intérêts  financiers privés qui agressent par gouvernements vassaux interposés (Allemagne et France) des collectivités non marchandes détentrices de bien commun, je pense que je pourrais parler de lutte des classe. Mais la lutte des classes, c’est ringard, hein ? Ça n’existe plus, pas vrai ? Même Fleur Pellerin le dit. Donc je ne vais pas dire « lutte des classes ».

Vous pouvez vous boucher les oreilles et continuer d’appeler ça une « crise économique ». 

Moi, je vais commencer à parler de guerre.